Une « nouvelle Rome »
L’année 1527 constitua un véritable deuxième acte de naissance du château. Cette année-là, François Ier ordonna de rénover le vieux château de la cour ovale, dont les bâtiments tombaient en ruine, pour le faire reconstruire presque totalement sur les fondations primitives. Seul le donjon fut préservé, percé de larges baies et couvert d’une haute toiture. À l’emplacement du vieux portail médiéval, on édifia une nouvelle entrée monumentale, la porte Dorée, dont la superposition de loggias voûtées relevait d’une conception nettement plus « savante » de l’ordonnancement. La chapelle Saint Saturnin médiévale fut également reconstruite entièrement sur un plan à deux niveaux.
Le chantier se fit de plus en plus ambitieux, témoignant de l’intérêt grandissant du roi pour Fontainebleau : dès 1528 fut entamée l’édification de la galerie François Ier, qui devait changer à jamais la physionomie du château. Attenante à l’appartement du Roi dont la chambre était située au premier étage du donjon, elle constituait un passage couvert entre le donjon et l’église du couvent des Trinitaires, à l’ouest.
De cette galerie, la première de sa génération, on raconte que le roi en conservait lui-même la clef autour du cou et qu’il en réservait la visite à ses hôtes de marque. C’est au peintre florentin Rosso Fiorentino qu’était revenue, dans les années 1530, la conception de son décor intérieur totalement inédit en France, convoquant aussi bien le langage allégorique que les textes de l’Histoire antique ou de la mythologie. Rosso initiait, au service de la majesté royale, les formules maniéristes qu’il avait élaborées en Italie et qui devaient faire la notoriété de Fontainebleau. Dans son sillage arriva à Fontainebleau, en 1532, le jeune Primatice, auquel le roi commanda de nombreux décors, dont ceux de la chambre de sa puissante favorite : la duchesse d’Étampes. C’est aussi Primatice qui travailla, au rez-de-chaussée de la galerie, au décor de l’appartement des bains dans lequel François Ier exposait des tableaux précieux comme La Joconde ou La Vierge au Rocher de Léonard de Vinci. Château de sources, Fontainebleau abritait une bibliothèque royale rassemblant, sous la férule du philosophe Guillaume Budé, les « sources » littéraires antiques, grecques et latines, nourrissant l’humanisme royal.
Dès 1537 débuta un ambitieux projet architectural appelé à faire disparaître définitivement le vieux couvent médiéval à l’ouest : la construction d’une « grande basse cour » au vaste plan régulier (actuelle cour d’Honneur), inspirée de l’architecture italienne, propulsa Fontainebleau au rang des plus ambitieuses entreprises de son époque. Cette extension du château accompagnait l’intérêt nouveau que le roi nourrissait pour son jardin « du clos de l’étang », aménagé à l’ouest de l’étang aux carpes (où se trouve actuellement le jardin Anglais). Ce jardin se distinguait par la présence de la fameuse fontaine Belle Eau, lieu fondateur du domaine, qui fit l’objet d’un traitement monumental. On rendit hommage, dans les décors du château, à la fameuse « nymphe » du site, divinité tutélaire de cette source, et au chien de chasse Bléaud qui, selon la légende appréciée par les souverains, aurait été à l’origine de sa découverte.
Si François Ier recevait à Fontainebleau les nombreux ambassadeurs des cours européennes, leur donnant l’impression d’arpenter les couloirs et les jardins d’une « nouvelle Rome », c’est surtout la visite de l’Empereur Charles Quint, le jour de Noël 1539, qui consacra l’importance d’un château devenu « la maison du roi ».
La résidence principale des Valois
« Si l’on se préoccupe trop de l’achèvement des choses, on n’entreprendrait jamais rien », avait dit François Ier. Et en effet, à la mort du roi en 1547, Fontainebleau était encore en chantier : l’église de la Trinité était en partie reconstruite, mais la toiture et l’aménagement intérieur manquaient encore, tandis qu’au premier étage de la cour ovale, le projet architectural de grande loggia surmonté d’un toit-terrasse n’en était qu’au couvrement. L’achèvement du chantier incomba donc à son héritier, Henri II. S’appuyant sur son architecte Philibert Delorme, le souverain s’attela à poursuivre le grand œuvre inachevé. En 1551, la couverture de l’église était mise en place, tandis qu’on y installait une clôture de chœur et une tribune des souverains. Quant à la grande loggia, elle fut détournée de son projet initial : transformée en vaste salle susceptible d’offrir un cadre adapté aux fêtes et aux solennités de la cour, le menuisier italien Scibec de Carpi la dota d’un somptueux plafond à caissons, et elle devint la « grande salle de bal » du château, aussitôt décorée à fresques par Niccolo Dell’Abate, sur les dessins de Primatice.
Durant son règne, Henri II séjourna à Fontainebleau tout aussi régulièrement que son père, et prolongea l’ambitieux projet d’en faire la résidence principale de la monarchie. À la toute fin de son règne, le roi assista à l’édification, dans « la grande basse cour », d’un premier escalier en fer à cheval ouvrant un nouvel accès aux appartements du premier étage. La vieille cour ovale, irrégulière et resserrée, commença à perdre son statut de cour d’honneur au profit de sa vaste et régulière cadette appelée à devenir, depuis l’installation d’un cheval en plâtre en son centre, « la cour du Cheval blanc ». C’est dans cette « maison de légitimité » que naquirent six des enfants que Catherine de Médicis donna au roi, dont les futur François II (19 janvier 1544) et Henri III (19 septembre 1551).
À la mort d’Henri II en 1559, sa veuve Catherine de Médicis laissa éclater au grand jour son goût pour les travaux et les constructions. Disgraciant Philibert Delorme, elle confia le chantier de Fontainebleau à un Primatice de 55 ans, promu grand ordonnateur des bâtiments, des décors et des fêtes du château. L’Italien édifia, sous les cieux troublés des guerres de religion, les dernières scénographies d’une Renaissance française parvenue à sa pleine maturité…
Fontainebleau à l’épreuve des guerres de religion
« Et quand verrons-nous, par tout Fontainebleau/de chambre en chambre aller les mascarades ? ». Ces vers de Pierre de Ronsard semblent regretter l’âge d’or d’un château sans murailles ni fossés, tout entier dévolu aux fêtes de la cour et aux plaisirs. En 1564, alors que les guerres de religion déchiraient le Royaume, Catherine de Médicis organisa au château un carnaval ayant pour but de réconcilier Catholiques et Protestants autour du jeune roi Charles IX.
Si cette semaine de fêtes constitua un entracte théâtral particulièrement enchanté dans la violence des guerres civiles, il fallut, en 1565, creuser des douves autour du château et l’armer d’un pont-levis afin de faire face à toute éventualité d’attaque contre le roi. La présence de ce fossé, qui devait subsister jusqu’à la Révolution, eut des conséquences sur le développement à venir du palais. L’entrée dans la résidence royale se ferait désormais par le pont-levis de la cour du Cheval-Blanc, selon un itinéraire menant directement jusqu’à la cour de la Fontaine.
Ainsi, le règne du jeune Charles IX fut marqué, jusqu’en 1570, par de derniers grands travaux qui signèrent la maturité de la Renaissance : dans la cour de la Fontaine, jusqu’alors bordée de bâtiments hétérogènes, Primatice fit élever l’aile d’un bâtiment organisé autour des deux rampes divergentes d’un escalier magnifiant l’accès au nouvel appartement du roi : l’aile de la Belle-Cheminée. L’Italien fit placer, dans les niches de cette grande composition classique, les fameux bronzes qu’il avait réalisés, 30 ans plus tôt, pour François Ier . À la même époque fut achevé, dans la cour du Cheval-Blanc, le décor de la « grande galerie » située au premier étage de l’aile sud : la galerie d’Ulysse. Entreprise en 1537 sous la direction de Primatice, rejoint par Niccolo Dell’Abate, il avait fallu plus de vingt ans pour réaliser son programme de 58 fresques relatant, sur ses parois nord et sud, l’odyssée d’Ulysse, modèle moral des rois.
L’âge des Valois se terminait donc en crépuscule somptueux. Avec l’aggravation des guerres de religion, Fontainebleau allait endurer une deuxième traversée du désert : délaissé par Henri III, dernier petit-fils de François Ier , l’état du château et des jardins se dégrada d’une façon fulgurante : « À présent, tout tombe en ruine : le beau lac, au pied de la galerie est presque comblé et les jardins eux-mêmes sont tout en désordre », nota en 1577 l’ambassadeur vénitien Girolamo Lippomano.